Prison centrale de Cyangugu, Rwanda 2004 © Carina Tertsakian
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Chapitre I — Extrait

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Quarante centimètres

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Quarante centimètres : telle est la largeur de l’espace vital standard d’un prisonnier. C’est là qu’il dort, qu’il mange, qu’il s’assoit ; c’est là qu’il vit. Il appelle cet espace son « château ». Cet espace se compose d’une ou deux planches de bois posées à plat sur un cadre en fer. Les planches sont alignées les unes à côté des autres, sans espace vide entre elles. Par endroits, des cloisons de fortune ont été placées entre les planches, mais elles sont rares. Les planches sont positionnées sur une structure de lits superposés à trois niveaux contre laquelle est appuyée une échelle de bois qui permet d’accéder aux niveaux supérieurs. Il n’y a pas de cellules, seulement des rangées interminables de lits superposés érigés dans des bâtiments rudimentaires. Chaque bâtiment constitue un bloc. Plusieurs centaines de prisonniers sont entassés dans chaque bloc. Et plusieurs milliers de prisonniers sont entassés dans chaque prison.

Il n’y a pas assez de châteaux pour tout le monde, loin s’en faut. Ce sont les plus chanceux qui ont accès à ces lits de planches. Les autres doivent se contenter de dormir par terre, dans un espace minuscule situé sous la rangée de planches la plus basse, à même la chape de béton ; l’espace est si étroit qu’il est difficile d’imaginer qu’un adulte puisse y pénétrer. Et pourtant des prisonniers de haute taille et au corps souple parviennent à s’y glisser comme des chats en tordant leurs membres selon des angles invraisemblables. Des vieillards y parviennent également, souffrant visiblement à chaque fois qu’ils doivent se glisser pour sortir de ce trou ou y entrer. Une fois à l’intérieur, ils peuvent à peine bouger. Ils restent allongés, leur tête frôlant les planches du lit superposé inférieur. Ils ne peuvent pas se retourner et ont peine à respirer. Dans la Prison centrale de Cyangugu, ces espaces sous les lits sont appelés des mines ; à Butare, ce sont des indake (tranchées) ; à Gitarama, des igara (littéralement, les places en dessous). Un prisonnier nous a dit avoir passé toutes ses nuits six ans durant dans l'une de ces mines, sur le sol en ciment en dessous du lit d’un autre prisonnier.

D’autres prisonniers dorment à même le sol dans les couloirs, dans les passages entre les lits superposés où ils se font régulièrement marcher dessus et reçoivent des coups de pied inopinés. Selon l'un des prisonniers, il ne faut pas se plaindre si l’on est piétiné car, de toute évidence, personne ne le fait exprès. Un autre prisonnier, qui a passé chaque nuit pendant plus de trois ans dans un couloir, nous a expliqué qu’il devait constamment maintenir ses jambes repliées pour ne pas se faire marcher dessus. Nombre de prisonniers dorment à même le sol, d’autres sur des morceaux de carton, sur un sac déchiré ou sur une moitié de couverture dont l’autre moitié les recouvre.

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